Chef du département de microbiologie, hématologie, parasitologie, immunologie et maladies infectieuses de la Faculté de médecine et des sciences biomédicales de l’Université de Yaoundé I, le Pr François-Xavier Mbopi-Kéou a présidé, le 15 octobre 2025, un symposium consacré à la lutte contre les infections et aux avancées récentes de l’immunothérapie. L’événement, qui a rassemblé étudiants, enseignants et chercheurs, a permis de mettre en lumière les défis actuels de la médecine et de la recherche biomédicale au Cameroun.
« Notre rôle est de lutter contre l’infection dans sa globalité »
Prenant la parole en sa qualité d’organisateur, le Pr Mbopi-Kéou a rappelé le rôle central de son département : « Le rôle de notre département est de lutter contre l’infection dans sa globalité. »
Il a souligné qu’il ne peut y avoir de lutte efficace contre les maladies infectieuses sans envisager la mise en place de vaccins. « Depuis l’époque du VIH jusqu’aux pandémies émergentes comme les coronavirus, on a vu toute l’importance du vaccin. »
Selon lui, le thème du symposium, validé par la hiérarchie universitaire il y a un mois, s’est avéré d’une pertinence particulière avec l’actualité scientifique récente : « Curieusement, il y a une semaine à peine, les trois prix Nobel Sakaguchi, Grunecoff et Barkoff ont été primés pour leurs travaux sur l’immunothérapie. Ils ont démontré l’existence de lymphocytes régulateurs qui protègent l’individu tout en combattant l’infection. »
Les lymphocytes régulateurs, un espoir pour l’immunité
Le chercheur explique : « Ces lymphocytes jouent un rôle essentiel non seulement dans la protection contre les infections, mais aussi dans la régulation des maladies auto-immunes, du diabète et d’autres pathologies. »
Cette découverte, selon lui, ouvre la voie à une nouvelle génération de vaccins : « On peut désormais envisager, à partir de ces lymphocytes régulateurs, la mise au point de candidats vaccins capables de produire des anticorps dits neutralisants. Ces anticorps renforcent notre immunité en reconnaissant et combattant les virus, même sous des variantes différentes. »
Il ajoute : « Nous savons aujourd’hui, grâce à ces travaux, que nous avons en nous des lymphocytes régulateurs neutralisants qui participent à la défense de notre organisme. »
L’interface entre biologie et clinique
Le Pr Mbopi-Kéou a rappelé que la biologie constitue le socle de la médecine moderne. « Il n’y a pas de médecine sans biologie, et pas de biologie sans compréhension des mécanismes de réponse immunitaire. »
Il a invité les étudiants à comprendre cette interface entre biologie et clinique : « Nos apprenants viennent de diverses filières – médecine, pharmacie, odontostomatologie, biologie, clinique – et tous cherchent à comprendre comment le corps réagit face à l’infection. »
Abordant la diversité des réactions individuelles, il a évoqué le concept de tropisme biologique et social : « Pendant le Covid, nous avons vu que le corps réagit différemment selon les individus. Notre constitution biologique et notre environnement social influencent notre résistance face aux infections. »
Vaccination : “Il faut se vacciner et encourager les autres à le faire”
Interrogé sur la méfiance vaccinale observée pendant la pandémie de Covid-19, le Pr Mbopi-Kéou a été catégorique : « Nous avons été parmi les premiers à nous faire vacciner. Il faut se vacciner, il faut encourager nos parents et amis à se vacciner. Le vaccin renforce les anticorps neutralisants, et plus nous en avons, mieux nous résistons aux infections. »
Il a déploré les discours de désinformation : « Refuser la vaccination, c’est faire preuve d’étroitesse d’esprit. Mon ancien patron, le Pr Luc Montagnier, disait : “L’esprit qui est étroit devient coupable.” Si vous ne savez pas, vous avez tort de ne pas savoir. »
Le professeur rappelle également que les vaccins sont sûrs et validés : « Tous les vaccins approuvés ont été testés et sont conformes. D’ailleurs, plusieurs m’avaient déclaré mort depuis des années, et pourtant je suis là », a-t-il lancé avec humour, avant de souligner que « dans les pays développés, certains vaccins, comme celui de la grippe, sont actualisés chaque année. »
Recherche et politique sanitaire : “Nous devons apprendre à nous prendre en charge”
S’exprimant sous trois casquettes — chef de département, directeur du Centre de recherche et de contrôle des maladies, et conseiller du secrétaire général de l’OMS —, le Pr Mbopi-Kéou a tenu à clarifier la question du financement vaccinal :
« La plupart des vaccins sont sponsorisés et souvent gratuits, y compris le vaccin contre la Covid. Le véritable défi, c’est le financement global de la lutte contre les maladies infectieuses. »
Il appelle à une meilleure coordination entre la recherche et l’action publique : « Nos gouvernements doivent investir davantage dans la recherche biomédicale et encourager la pharmacopée traditionnelle. Notre faculté a été la première au Cameroun à créer un département de médecine traditionnelle, grâce au Pr Gandui, disparu récemment. Nous devons poursuivre son œuvre. »
“Il faut financer les chercheurs et créer des pôles d’excellence”
Le professeur déplore le manque de moyens accordés à la recherche : « Il faut financer les chercheurs, accorder des bourses d’excellence et créer des plateformes collaboratives pour éviter la duplication des études. Il est temps que le ministère de la Recherche scientifique travaille en synergie avec les universités pour faire passer la recherche du laboratoire au développement. »
Il a salué les succès africains : « C’est l’Afrique du Sud qui a séquencé la première le virus de la Covid-19, ouvrant la voie aux premiers vaccins. L’Afrique a prouvé qu’elle peut contribuer à la science mondiale. »
Soutenir la formation et la relève scientifique
Le Pr Mbopi-Kéou a également plaidé pour une meilleure prise en charge des étudiants : « Sept à douze ans d’études en médecine, c’est un long parcours. Il faut rétablir les bourses régulières et offrir aux étudiants non fonctionnaires les mêmes facilités que leurs pairs. Ils sont doublement pénalisés. »
Il a dénoncé le paradoxe d’un pays où « un médecin dessert entre 4000 et 6000 personnes, alors que de nombreux médecins et chercheurs sont sans emploi » : « Il faut soutenir ces hommes et ces femmes qui, malgré les conditions difficiles, choisissent de revenir travailler ici pour faire évoluer la santé sur leur propre sol. »
Une jeunesse prometteuse et des modèles à suivre
Le Pr Mbopi-Kéou s’est dit ému par la forte affluence des étudiants : « Ce n’est pas un cours, mais la salle est pleine. Cela montre la soif de connaissance. Si nous encadrons cette jeunesse, elle fera la différence. »
Il a cité plusieurs figures inspirantes : l’ambassadeur John Kengasong, formé à Yaoundé I (virologue camerouno-américain qui occupe le poste de coordinateur mondial de la lutte contre le sida au sein de l'administration Biden depuis 2022), ainsi que Henri Appi, chercheur camerounais classé parmi les 100 scientifiques les plus influents au monde, qui dirige un laboratoire financé à plus de 200 milliards de F CFA au Nigeria.
« Nous travaillons avec eux pour créer une plateforme de chercheurs camerounais de la diaspora engagés à soutenir la science africaine », a-t-il annoncé.
Et de conclure : « L’Afrique doit croire en elle-même. Il n’y a pas de race, pas de tribu, pas de gens plus intelligents que d’autres. Il n’y a que des personnes qu’il faut encadrer et soutenir pour construire ensemble le savoir et le progrès. »