En Afrique, nourrir un enfant au sein n’est pas une habitude récente. Bien avant l’apparition des recommandations officielles de l’OMS et de l’UNICEF, les femmes africaines savaient que le lait maternel était la première nourriture du nouveau-né. Dans de nombreuses communautés, il ne s’agissait pas seulement d’un geste naturel, mais d’un véritable acte culturel, entouré de valeurs, de rites et de proverbes. On raconte, dans certaines traditions, que le lait maternel relie l’enfant à ses ancêtres, lui transmettant force et protection. Chez les Yoruba par exemple, des contes rappellent que le lait maternel est « la première nourriture bénie », un symbole de vie que rien ne peut égaler.
Pourtant, aujourd’hui, si l’allaitement est toujours largement pratiqué, c’est surtout l’allaitement maternel exclusif pendant les six premiers mois qui reste un défi. Trop souvent, par habitude ou par croyance, on donne de l’eau au bébé en pensant qu’il a soif, ou on introduit d’autres liquides et aliments bien avant l’âge recommandé. Une pratique qui, selon les spécialistes, prive l’enfant de nombreux bénéfices essentiels.
C’est ce constat qui a guidé les échanges du webinaire mensuel du Réseau des médias africains pour la promotion de la santé et de l’environnement (REMAPSEN), tenu le 6 août 2025 sous le thème « Et si l’allaitement maternel m’était conté ? ». Plus de 60 journalistes africains ont pris part à cette rencontre animée par deux experts : le Dr Soliou Badarou, médecin en santé publique et spécialiste de la santé maternelle et infantile, et le Dr Siméon Nanama, conseiller régional en nutrition pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre.
Les six premiers mois : un bouclier protecteur pour la vie
Dans son exposé, le Dr Nanama a rappelé que l’OMS et l’UNICEF recommandent un allaitement exclusif jusqu’à l’âge de six mois. Durant cette période, le lait maternel fournit 100 % des besoins du nourrisson en protéines, matières grasses, vitamines, minéraux et eau, dans des proportions parfaitement adaptées à son organisme encore fragile. « Pendant les six premiers mois, un bébé n’a besoin de rien d’autre : pas d’eau, pas de tisane, pas d’aliment solide », a insisté l’expert.
Le lait maternel joue aussi un rôle majeur dans la protection immunitaire. Le colostrum — ce premier lait épais et jaune produit dans les heures suivant la naissance — agit comme un véritable vaccin naturel. Riche en anticorps et en globules blancs, il protège l’enfant contre les infections respiratoires et les diarrhées, deux causes majeures de mortalité infantile. Les bénéfices se prolongent tout au long de la vie : un allaitement exclusif réduit le risque de maladies chroniques telles que le diabète, l’obésité ou l’hypertension.
Pour la mère aussi, les avantages sont multiples : réduction du risque de cancers du sein et de l’utérus, meilleure récupération post-partum, et parfois espacement naturel des naissances.
Une nourriture pour le corps, le cerveau et le cœur
Au-delà de la santé physique, l’allaitement exclusif participe au développement cérébral et aux capacités d’apprentissage. Le lait maternel est riche en acides gras essentiels qui favorisent la formation optimale du cerveau. « Les six premiers mois sont la période où le cerveau de l’enfant se développe le plus rapidement », a souligné le Dr Nanama. Sur le plan affectif, il crée un lien de proximité et de sécurité entre la mère et l’enfant, un attachement qui a des effets positifs durables.
Des obstacles persistants
Les experts ont aussi évoqué les défis à relever :
la promotion agressive des laits artificiels jusque dans certaines maternités, qui entretient la confusion chez les mères ;
le manque de soutien en milieu hospitalier, avec des pratiques qui séparent trop tôt le bébé de la mère ou qui retardent la première mise au sein ;
l’insuffisance de personnel formé pour accompagner efficacement les nouvelles mamans.
Un échange riche avec les médias
Après leurs présentations, le Dr Nanama et le Dr Badarou ont répondu aux nombreuses questions des journalistes, revenant sur les aspects culturels, médicaux et pratiques de l’allaitement exclusif. Ils ont insisté sur l’importance de respecter strictement la période de six mois sans aucun autre aliment ni liquide, afin de tirer tous les bénéfices de ce geste ancestral qui, aujourd’hui encore, demeure un pilier de la santé publique et de la survie infantile.