François Lhopiteau (3e à partir de la droite). Remise des attestions aux participants au terme de la formation sur la communication non violente (CNV), siège du Service oecuménique pour la paix (SeP), Yaoundé, mars 2022 /©SeP
François Lhopiteau (3e à partir de la droite). Remise des attestions aux participants au terme de la formation sur la communication non violente (CNV), siège du Service oecuménique pour la paix (SeP), Yaoundé, mars 2022 /©SeP

Venu au Cameroun pour animer des formations, François Lhopiteau, spécialiste des questions de non-violence, nous explique les principes clés de la CNV, au terme d’une session y afférente, tenue à Yaoundé au siège du Service œcuménique pour la paix (SeP) du 24 au 26 mars 2022.

 

1 - Vous venez d’animer une session de formation CNV au siège du SeP à Yaoundé. Quels en étaient les principaux objectifs ?
La Communication non violente (CNV) est l’une des déclinaisons de la non-violence. Elle fonctionne lorsque deux interlocuteurs sont prêts à dialoguer et à s’écouter mutuellement. Quand l’un ne veut pas écouter l’autre, il y a lieu de recourir à d’autres déclinaisons de la non-violence : la Régulation non violente (RNV) ou l’Action non violente (ANV). Celles-ci s’appuient sur la force des règles et des lois, ou bien s’exercent dans un rapport de

forces. Le SeP développe ces approches au cours d’autres formations.
La formation à la CNV a fait découvrir aux participants les moyens d’exprimer un désaccord ou un conflit sans
agresser leur(s) interlocuteur(s). Un désaccord suscite toujours des tensions émotionnelles qui peuvent être très
sensibles. La parole de l’un déclenche le ressenti de l’autre et réciproquement.
En général le réflexe est d’en faire le reproche à l’autre et de lui infliger du jugement négatif.
La CNV propose aux participants de prendre conscience de leur propre zone sensible et d’identifier le besoin révélé par cette émotion. Elle invite à prendre la responsabilité de son propre ressenti et à nommer son propre besoin. Ainsi un mécontentement qui se réveille signifie par exemple un besoin d’attention.
Au lieu d’accuser son conjoint par « Tu ne penses qu’à toi et à ton travail », on peut lui dire « Je me suis sentie
perdue quand tu étais parti loin pour ton travail, j’ai besoin de ta présence, je te demande de passer cette journée
avec moi ».
Cette démarche ne va pas de soi, tant nous avons appris depuis toujours à rejeter sur autrui ce qui nous fait souffrir. La formation a proposé de déconstruire ces automatismes relationnels et d’apprendre à devenir conscient de son propre vécu pour assumer la responsabilité de ses propres besoins.

2 - A quel moment faire appel à la CNV dans notre vie ?
La Communication non violente est possible à tout moment de notre vie personnelle, sociale ou professionnelle, dès lors que notre interlocuteur est prêt au dialogue. Elle possède ce précieux avantage de ne pas nous engager dans le reproche ou le jugement à son égard, ce qui va favoriser son attention à nos propos. Très souvent, la volonté réciproque de dialogue est entravée par des paroles qui jugent ou qui blessent ; la communication dégénère dans des travers plus ou moins agressifs ou violents.

La CNV est un apprentissage qui prend du temps. Depuis notre enfance, nous avons tellement subi de jugements
que nous avons considéré le jugement sur les autres comme mode normal de communication. Ces trois jours
de formation ouvrent une voie. La pratique de la CNV demande du temps et nécessite beaucoup d’attention sur
soi-même et d’entrainement. Moi-même je me vois pris encore dans ces réflexes issus de mon éducation et de
la culture dans laquelle je baigne. Nos civilisations ont encore du chemin à parcourir pour faire de la bienveillance le ressort premier du développement humain.

3 - Vos impressions au terme de cette session (par rapport à la formation elle-même, par rapport aux participants, etc.)
Je suis réjoui de la grande implication des participants dans la formation.

C’est le travail personnel à travers des exercices d’entrainement qui permet les véritables apprentissages. Ce n’est pas le formateur qui forme les participants, ce sont les participants qui se forment.
De plus l’engagement personnel des uns suscite l’implication des autres. La dynamique de la formation est fondée sur la confiance qui s’installe dans le groupe et permet le travail personnel.
L’apprentissage de communication non violente nécessite d’observer ses propres zones sensibles. Le climat de
non jugement au sein du groupe est la condition indispensable à ce processus.
L’enthousiasme des participants au terme de la session a été un bon indicateur de leur satisfaction. Chacun
a fait son «bout de chemin» avec lui-même et a retiré de la formation ce qui lui convenait. Je ne fais d’évaluation
détaillée, je fais confiance à chacun, seul responsable de lui-même.

4 – Ce n’est pas la première fois que vous êtes au Cameroun. Qu’en est-il exactement ?
Je suis venu pour la première fois en 1998 invité par le fondateur du SeP, le pasteur Luc Norbert Kenne,

pour intervenir dans un séminaire sur la non-violence qui se tenait à Mbalmayo. J’ai été très impressionné
par son engagement et son charisme, je l’ai ensuite accueilli plusieurs fois en France jusqu’à son décès, trop précoce.
Nous préparions alors des projets en commun. Je suis revenu quelques années plus tard pour un colloque. Puis
le SeP a connu une longue période de veille avec peu d’activités. En 2017 le nouveau directeur, Solomon
Fomekung, m’a fait part de sa nomination et m’a sollicité pour des projets de formation. C’est ainsi que
je suis venu en avril 2019 pour animer une formation de base à la Régulation non violente des conflits. La réussite de cette session a enclenché la mise en place d’autres formations, c’est ainsi que je viens au Cameroun deux fois par an depuis cette date.

5 - Seriez-vous prêts à revenir ?
Je projette de revenir en novembre prochain, je mets à profit la disponibilité que m’offre aujourd’hui ma situation de retraité. De plus j’ai le plaisir de nouer de nombreuses relations d’amitié au Cameroun, je me sens très attaché à de nombreuses personnes. Je voyage autant pour les formations à la non-violence que pour les amis.

6 - Quels rapports entretenez-vous avecle SeP ?
Au fil de ces trois dernières années, mon apport s’est précisé. Ma contribution au SeP est une transmission. J’apporte ce que j’ai participé à élaborer quant à la non-violence au sein de mon propre organisme, l’IFMAN, en

France. Dans un premier temps, j’ai offert des connaissances à travers les formations que j’ai animées. Puis mon
apport le plus important aujourd’hui est de contribuer à la formation de formateurs. Nous avons réalisé un
premier cursus pour douze formateurs et formatrices. Le cursus exigeait quatre semaines de formation pédagogique, des lectures, la rédaction d’un écrit, et des expérimentations devant des participants. Ce fut une véritableformation professionnelle.
Mon action auprès du SeP est de partager des connaissances et non d’apporter un savoir certifié. L’enjeu est qu’à travers ses formateurs et son public le SeP puisse développer une approche de la non-violence dans le contexte camerounais qui lui convienne. Je partageais complètement cette vision du fondateur voici 25 ans, je me pense toujours proche de celle-ci aujourd’hui.


7 - Quels morceaux choisis pouvons-nous retenir de votre riche histoire avec le MAN et les IFMAN ?
Le MAN - Mouvement pour une alternative non violente – est un mouvement de réflexion et d’action qui

a pour objectif de faire valoir l’apport de la non-violence dans le débat public.
Il est aussi une organisation qui a pour objectif de rassembler le plus grand nombre d’adhérents et peser pour
lutter contre la course aux armements ou contre les oppressions sociales et politiques.
L’IFMAN – Institut de recherche et de formation du MAN – est une structure de formation. Il propose ses services sur toutes les déclinaisons de la non-violence : l’éducation, la communication, la régulation, l’action
et la lutte. La démarche de formation ne vise pas à convaincre et faire adhérer des participants. Elle offre un parcours de découverte et d’enrichissement personnel et laisse chaque participant libre de ses choix.

8 - En tant qu’expert en matière de non-violence, quels conseils donneriez-vous aux formateurs associés au SeP ?
Pour moi la posture de formateur vise à renforcer la liberté de chacun. Le choix de la non-violence est un parti

pris libre. Il ne s’agit pas de soumettre quiconque à une autorité qui prêche une bonne parole mais d’offrir une
démarche pédagogique pour apprendre à refuser la violence. Je ne rêve pas d’éradiquer toute violence, il s’agit de rester humble et d’accepter ses propres contradictions sans culpabilité. Nos cultures valorisent la violence depuis la nuit des temps. Le cheminement vers l’alternative non violente en est d’autant plus difficile.
Heureusement l’Evangile nous propose le choix de l’Amour depuis des millénaires, le Coran, lu attentivement,
nous conduit dans la même direction, le Bouddhisme ou la Déclaration des Droits de l’Homme formulent le même message. La formation à la non-violence est une mise en pratique de ces enseignements. Cette pratique s’acquiert par l’exercice et l’expérimentation.
C’est pourquoi les formateurs associés au SeP proposent des méthodes actives. Ils ne sont en aucun cas des
enseignants énonçant un discours magistral et académique. Certes les participants sont surpris aux premières
minutes d’une formation, mais très vite ils découvrent la pertinence d’une démarche qui permet l’implication et la confiance. Le talent des formateurs est de s’appuyer sur la réalité vécue par les participants, c’est le sujet qui leur parle le plus.
Développer ce talent nécessite une belle qualité d’écoute et de prise de recul.
Les participants viennent en formation par rapport à des questions ou des vécus bien concrets. Les formateurs
doivent être capables d’entendre l’émotion - ou la souffrance – exprimée par des participants. Ils doivent aussi
l’accueillir avec empathie. Cette qualité fait la force d’un formateur tout autant que ses connaissances ou sa pédagogie.
C’est pourquoi le SeP propose des rendez-vous de partage d’expériences aux formateurs. On ne peut pas rester
formateur si on est isolé, quand on veut offrir une approche de la non-violence.
L’appui de collègues est nécessaire à sa prise de recul sur le vécu desparticipants. J’ai plaisir à constater que
les formateurs et formatrices associés au SeP travaillent tout à fait dans cet esprit. L’avenir est prometteur pour le
SeP.


Propos recueillis par GBW

Source : Peace News+ N°003 (avril, mai & juin 2022)